Courriers presse

Sommes-nous tous Charlie Hebdo ? (9.1.2015)

Le massacre du personnel de Charlie Hebdo, à proprement parler, ne constitue pas une attaque à nos libertés fondamentales. La seule entité étant à même de menacer ces dernières, en effet, reste l’Etat, contre qui elles nous protègent.

Le drame de Charlie Hebdo représente bien plutôt la vengeance d’extrémistes religieux, à l’action meurtrière, envers d’autres extrémistes non violents de la liberté d’expression.

A cet égard, on ne saurait oublier que le choix de cette cible, trouve sa source dans une offense qui touche une certaine frange de la population musulmane. A ce titre, il est bon de rappeler que depuis 15 ans, les 57 pays de l’Organisation de la conférence islamique (OCI) cherchent à obtenir du Conseil des droits de l’Homme de l’ONU, que la diffamation des religions soit traitée sur pied d’égalité avec l’incitation à la haine raciale (voir Le Temps, 9.1.2015).

Ainsi, proclamer aujourd’hui ‘Je suis Charlie’, c’est aussi couper court au débat sur l’intégration des cultures en prenant une position tranchée, et en particulier faire savoir à certaines minorités que notre conception des libertés fondamentales ne prend pas en compte leur sensibilité.

 

Sauver la presse romande (6.7.2014, pour Le Temps, non paru)

La loi économique fait qu’aujourd’hui, le sort du quotidien que vous tenez entre vos mains, pilier de la presse romande, se décide à Zurich. Par des instances dont le visage, en la personne du CEO du groupe Ringier, a parachevé son parcours à la Harvard Business School. Ce qui semble être réservé au Temps ? Une mise à l’écart polie du Cercle de ses lecteurs, et un « rapprochement » avec l’Hebdo.

Une telle perspective est inquiétante. En effet, on ne peut souhaiter au Temps qu’il s’inspire d’un titre qui, en pratiquant une politique de promotions et d’abonnements agressive, emprunte aujourd’hui la voie du quasi-gratuit. Un modèle qui implique l’externalisation d’une partie du travail rédactionnel, et une large place réservée aux dossiers « meilleures adresses » et autres guides à usage pratique.

Sommes-nous devenus impuissants devant la course folle à la « présence sur Internet » et la tendance centralisatrice des entités économiques ? Ou la Suisse romande est-elle capable d’entretenir un organe de presse, pourvoyeur d’analyses de fond et indépendant ? Le bail des locaux du Temps à la gare de Genève, apprend-on, aurait été résilié. Peut-être le Cercle des Amis du Temps ferait-il bien de le reprendre, et les occupants actuels d’y rester. Un nouveau quotidien pour la Suisse romande ? Il en va de la santé de notre démocratie.

 

Sensibilité artistique (paru le 11.12.08 dans Le Temps, et le 8.12.2008 dans 24Heures)

Les Vaudois sont avides d’art. La taille du budget culturel de la Ville de Lausanne, ainsi que la densité de festivals et autres manifestations à travers le canton, à proportions égales sûrement sans équivalent en Europe, en sont la preuve.

Deux projets échoués, frappants par leur ressemblance, montrent qu’il est un aspect de cette sensibilité que les autorités publiques négligent dans leur gestion des affaires culturelles: un sens esthétique nourri par la proximité des paysages, lacustres en l’occurrence.

En 2003, le projet Blur à Yverdon-les-Bains visait à recycler la structure du nuage artificiel d’Expo.02. Erigé sur le lac, un bâtiment aurait abrité le Musée de la science-fiction. Tout comme le projet du musée de Bellerive, son architecture était controversée; il donna lieu à une effervescence populaire inédite et fut rejeté en votation par les Yverdonnois.

Ainsi, à l’heure où les politiques s’attellent à démêler les motifs du rejet populaire de la version Ying Yang du Musée des beaux-arts (LT du 1er décembre), le caractère décisif de l’aspect paysager s’impose. […]

Il est permis de penser que si le canton de Vaud avait présenté un projet quelque peu en retrait des rives du lac Léman, la réalisation du futur musée cantonal des beaux-arts serait actuellement chose acquise. Là où certains s’imaginent voir dans ce récent rejet populaire «défiance», «ressentiments» et «méfiances», les personnes chargées du futur projet feraient bien de garder en tête que l’objet esthétique ayant le plus de valeur aux yeux des Vaudois, et qu’ils ne sacrifieront pour aucune œuvre d’art, ce sont leurs paysages naturels. Et en particulier «les vues du Léman» que nombre de peintres paysagistes ont, au cours des siècles, inlassablement reproduites et dont le futur musée entend mettre les œuvres en valeur…

 

Espace «  d’Ailleurs » : une question d’images (paru en août 2003 dans La Presse Nord vaudois et dans 24Heures)

Nous, habitants d’Yverdon-les-Bains, jouissons d’un cadre de vie exceptionnel. Ainsi nous est offert aux abords directs de notre cité un espace vert touchant à la seule embouchure de lac de Suisse qui ait été épargnée par l’urbanisation ; de ces rives nous est réservée une perspective unique sur le spectacle intact de l’eau, des rives et des montagnes.

De longue date, les autorités réfléchissent à un réaménagement du site qui encouragerait davantage d’Yverdonnois à venir profiter de ce paysage, qui rendrait le lieu plus vivant.

Expo.02 l’année passée, par le biais de quelques-unes de ses installations, nous a donné quelques pistes en nous faisant réaliser qu’il suffisait de peu de choses pour attirer la population au bord du lac : un bar, quelques concerts et spectacles dans des infrastructures modestes (le Bar Rouge et la Scène des Etoiles) permettant, notamment, à de nombreux Yverdonnois de se produire.

Aujourd’hui, la Municipalité rate le coche en concentrant ses forces sur un projet qui a la maladresse d’une part de ne pas tenir compte de cette réalité, d’autre part de déprécier ce paysage unique.

En échange de ce sacrifice, elle entend nous offrir une « icône », fleuron de l’architecture contemporaine, véritable attraction touristique dont elle compare volontiers la notoriété internationale à celle du Cervin ou celle du Jet d’eau de Genève (texto dans ses préavis).

Si la Municipalité s’applique avec tant de zèle à auréoler ce qui n’est finalement qu’un recyclage indéfini (aucun projet architectural concret à ce jour, hormis celui de deux containers sur une plate-forme, quasi-unanimement décrié et vite retiré) du squelette du feu nuage Blur, c’est qu’elle y entrevoit l’opportunité d’attirer sur terres yverdonnoises l’Agence Spatiale Européenne et sa manne financière, laquelle serait « intéressée » par la structure.

Là encore, le rôle et l’apport concrets de cette institution restent tout à fait flous, comme nous l’ont fait comprendre les « On peut imaginer que… » revenant sans cesse sur les lèvres des promoteurs du projet participant à un récent débat sur Canal NV.

Il serait souhaitable de rétablir le cap. De réfléchir à un réaménagement des rives du lac qui mette véritablement en valeur le site et qui profite réellement aux Yverdonnois, comme ce fut le cas l’été passé. De faire redescendre nos élus sur terre, lesquels, peut-être un peu trop obnubilés par le prestige de leur nouvel interlocuteur (l’ESA), ambitionnent de faire de notre ville une nouvelle Zermatt ou Lucerne, en colonisant notre lac et en nous offrant un parking de 600 places en guise de réaménagement de ses rives.

Votez non.