Economiesuisse et le règne de la « crédibilité »

Le 3 mars dernier, le peuple suisse acceptait à près de 70% l’initiative Minder « contre les rémunérations abusives ». Ce jour-là, les principaux partis politiques du pays, ainsi que la grande majorité des organisations économiques, essuyaient un camouflet. Tous avaient préconisé le rejet de l’initiative. Seul le Parti socialiste, les Verts, et quelques syndicats avaient soutenu le texte.

Un bouc émissaire commode

Anticipant ce désaveu sévère, les personnalités politiques de la droite et du centre avaient très tôt renoncé à assumer leur position. Elles désertaient la campagne, laissant à Economiesuisse, l’organisation faîtière de l’économie, le soin de monter seule au front.

Alors que tombait le verdict des urnes, le monde politique avait trouvé son bouc émissaire. Economiesuisse allait devoir tirer seule les conséquences de la défaite.

Le maître mot : la « crédibilité »

Pour mener cette opération collective de blâmage, un mot imparable fut dégainé, qui allait se répandre comme une traînée de poudre : la crédibilité (« Glaubwürdigkeit » en allemand). Entonné d’abord par les hommes politiques, adopté et relayé à l’unisson par les journalistes, un refrain nous faisait savoir qu’ « Economiesuisse a perdu sa crédibilité ».

Faute de manquements substantiels, on chercha des poux aux dirigeants de l’organisation. En première ligne, Pascal Gentinetta, directeur, et Rudolf Wehrli, président, dont le parcours professionnel et la personnalité furent décortiqués.

Carences de CV

Dans le langage des médias, le premier fut décrit comme « très compétent sur les questions techniques, mais d’apparence plutôt technocratique ». On déplora son manque d’expérience dans le privé ; avant de rejoindre l’organisation faîtière, le directeur avait fait carrière dans le milieu universitaire, puis dans l’Administration fédérale. Un parcours hélas insuffisant.

Au président, on reconnut une « façon de penser académique et stratégique ». Insuffisant aussi, le malheureux devant trébucher sur un « manque d’expérience dans la communication », une absence de connexions politiques et une « incapacité à porter des messages contre des vents politiques contraires ».

Las, impuissants devant tant d’exigences, les deux dirigeants jetaient l’éponge le 19 juin dernier.

La recette

Heureusement, l’annonce de ces départs, ainsi que les bonnes résolutions émises par l’organisation, nous donnent aujourd’hui la recette du parfait dirigeant crédible.

Actuellement en « processus de repositionnement », Economiesuisse concédait en conférence de presse avoir « argumenté de façon trop académique et complexe » par le passé. Elle promet désormais d’améliorer sa communication, en adoptant « un ton plus humble et ouvert ».

S’agissant du nouveau directeur (pas encore désigné), la Neue Zürcher Zeitung quant à elle nous explique qu’il devra gagner la « stature de figure de proue de l’économie ». En clair, cela suppose, selon le journal: des expériences pratiques recueillies dans le monde de l’économie ; des compétences de spécialistes ; des capacités de management éprouvées; un talent de communicateur ; des connexions dans le milieu politique ; un profil reconnu en matière de politique économique.

Rien de moins.

Et le quotidien d’ajouter, en bonne logique, que les conditions du poste devront être rendues plus attractives, et sa rémunération adaptée en conséquence.

Ce qui nous amène à espérer, forcément, que le salaire du nouveau directeur ne sera pas abusif. Le pauvre risquerait d’en perdre sa crédibilité.

Président fatigué.siteUn président fatigué. Rudolf Wehrli (à g.), ex-Economiesuisse.