J’habite à Lausanne City

Le voyageur qui à Lausanne s’engouffre dans le sous-voie CFF à sa descente du train, se trouve aujourd’hui face à une signalétique lui proposant une double direction: ‘Lac’ au sud ou ‘City’ au nord.
Une erreur de traduction serait-elle à l’origine de cette incohérence linguistique? Ou les alentours du Petit-Chêne se seraient-ils soudainement mués en nouveau centre de la finance internationale?

Vous n’y êtes pas. C’est que subrepticement, par le truchement de notre Régie fédérale, les grâces de la langue suisse-alémanique s’infiltrent dans nos terres.
Cette utilisation anarchique du lexique est en effet fidèle à l’approche décomplexée de nos confédérés, qui se délectent à emprunter de multiples expressions aux langues étrangères. En matière de lieux, cette tendance est particulièrement lourde à Zurich, où des espaces urbains baptisés Shopville côtoient les autres Sihlcity. Dans la capitale économique, cette manie répond par ailleurs à une coquetterie bien connue, les Zurichois aimant donner à leur ville, par force slogans, des airs de métropole du monde (‘grossstädtisches Flair’ dans l’idiome du coin). Il y a ainsi belle lurette que l’automobiliste qui s’y rend doit choisir à l’intersection autoroutière entre ‘Zürich-Flughafen’ et ‘Zürich-City’.

Pour revenir à notre contexte francophone, de tels emplois apparaissent malheureux, pour ne pas dire ridicules. Espérons que le présumé groupe de réflexion ‘Signalétique’ des CFF, qu’on imagine doté d’excellents spécialistes, puisse accueillir en son sein un fonctionnaire romand, investi de la mission de rendre à notre langue ses lettres de noblesse. Ou résignons-nous, et proposons à l’Académie française de rayer le mot ‘centre-ville’ de son dictionnaire, devenu décidément obsolète.

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Démocratie vaudoise

Les Vaudois aiment s’exprimer. Si jadis le café était leur arène, c’est aujourd’hui sur les forums du site internet de 24Heures que se forgent les opinions. En réaction à des thèmes d’actualité, les commentaires y fleurissent, signes de la vitalité de notre démocratie. Morceaux choisis.

24H courriers cropped_siteAinsi Hibou76, à 9h13, au sujet d’une dépêche annonçant que Denner, pour prévenir d’éventuels incidents, retire de ses rayons des bières à la capsule défectueuse. « Je trouve que l’alcool est trop bon marché dans les commerces. Il faut que les gens pensent un peu plus à leur santé et bien être. La vie est belle. Pourquoi faut-il systématiquement boire de l’alcool pour être avec les autres? ».

Autre sujet brûlant, la tenue de l’Erotikmesse à la patinoire de Malley, en ce jeudi de l’Ascension. Et Jean-Paul, à 10h20, de s’interroger: « La viande ainsi exposée contient-elle du cheval de Roumanie ? ». Sur quoi Jean-Jacques, à 11h20, précise: « Quand on pense que nos jeunes et moins jeunes d’aujourd’hui ont besoin de stimulant pour chevaucher leurs nanas, il va y avoir plus de monde que pour un match ».

S’agissant d’un article sur l’aménagement de la future place de la gare à Lausanne, Luis, à 10h25, suggère, bucolique: « Supprimons cette maudite gare et installons-là à Denges. A la place, un grand parc avec des arbres, des moutons, des lapins, des zèbres et un bistrot avec une terrasse et des parasols pour manger un pâté (en croûte avec de la gelée dessus). Reste le problème de la salle des Cantons pour les lotos ». En effet, l’aménagement du territoire est une affaire complexe.

Sur un article concernant les débordements de supporters à l’issue du derby Lausanne-Servette, Maurice fait valoir, à 11h43, pragmatique: « Vive les travaux d’utilité publique à la pioche et à la barre à mine, à la pelle et à la brouette. Retour aux bonnes méthodes et techniques d’autrefois. Entre le canal du Rhône au Rhin, et le deuxième tube du tunnel du Gotthard, il y a de quoi occuper ces “jeunes” en mal de défoulements! ». A méditer.

Plus loin, au sujet d’une analyse nous apprenant que Federer, avec ses 66 millions de francs annuels, est le deuxième sportif le mieux payé au monde, Mathieu s’interroge, à 00h35: « Dont combien d’impôts? Pourquoi un Bâlois paie-t-il ses impôts à Schwytz pendant que les grands-mamans bâloises doivent compter leurs sous en allant à la Migros? ».

Ou encore, sur les difficultés du secteur touristique au Maghreb, suite à l’instabilité politique, Henri remarque, à 21h32, paternaliste: « L’Italie et l’Espagne sont encore des lieux sûrs! Et les plages sont belles, et pas de risque d’actes de terrorisme. Ne prenez pas de risques inutiles ».

Enfin, en complément d’un article sur les dégâts occasionnés par la grêle, Claude, à 7h54, rappelle, attristé: « Beaucoup d’oiseaux sont morts suite à la grêle et curieusement personne ne parle de cela… Hier en fin d’après-midi, au bord du lac Léman, c’était la désolation et il y avait de quoi se faire du magret de canard pendant plusieurs semaines ».

En somme, un excellent moyen de plonger dans les profondeurs colorées de l’âme vaudoise.

L’invasion des bidets

Chers semblables, les gestes les plus simples de notre vie quotidienne sont sur le point de connaître une petite révolution. Le 15 mai dernier, la rubrique économique du journal Le Temps annonçait en titre que « Toto, roi des toilettes au Japon, pose un premier pied sur le marché suisse ».

A l’origine de cette information, le lancement lors de la Foire internationale de la plomberie à Francfort de l‘appareil douche-wc « ViClean Ultimate », fruit d’un « partenariat stratégique » entre l’allemand Villeroy & Boch et le japonais TOTO Ltd. Comme le précise un communiqué, cet objet allie les « solides compétences en design et lifestyle haut de gamme» du leader des sanitaires de Mettlach (D) à la « technologie de pointe et l’expertise high-tech absolue » du fabriquant nippon.

L’Europe à la traîne

A considérer la chose de plus près, nous mesurons la portée de l’événement. Tout en affichant son ambition de « dominer le marché des toilettes bidets » sur le Vieux Continent, Kunio Harimoto, président de TOTO Ltd., confiait au Temps que « même si l’Europe dispose déjà d’une culture des bidets, son marché est fermé, la nouveauté dans le domaine des sanitaires n’étant pas forcément appréciée ». Tout le contraire des autres pays industrialisés (avancés?), puisque, nous assure-t-on, si les douches-wc sont déjà bien implantés aux Etats-Unis, 70% des ménages japonais en seraient dotés. Et l’optimiste PDG d’évoquer le « fort potentiel de développement du marché européen » et « l’opportunité majeure » que représente ce partenariat pour « étendre la culture de la salle de bain et de l’hygiène ».

Le secours de la technologie

Concrètement, le cheval de bataille des deux industriels se destine à tous ceux qui « veulent le meilleur dans la forme comme dans les fonctionnalités ». Le ViClean Ultimate propose des fonctions de lavage utilisant la technologie « Balloon Jet », qui permet « un lavage délicat de l’anatomie pertinente » (traduction de l’anglais) au moyen de jets dont la pression est réglée électroniquement. Projetant une bruine légère et personnalisée, le fabriquant nippon perfectionne ainsi sa technologie antérieure « Wonder Wave ». S’y ajoutent des fonctions de séchage, un siège chauffant à ajuster pour une distribution uniforme de la chaleur, un « puissant désodorisant », un mécanisme de fermeture automatique de la lunette, ainsi qu’un système d’ajustement vertical du siège faisant appel à une « technologie de capteurs éprouvée ». Pour couronner le tout, alors que grâce à son revêtement novateur « la brosse est superflue », les partenaires font valoir qu’en respectant tous les standards officiels en vigueur, le ViClean Ultimate « répond aux attentes du consommateur en matière de développement durable, d’efficience et de sécurité ».

Privilégiés du trône

Au final, un raffinement de l’existence que seuls certains d’entre nous, frequent flyers ou détenteurs de chalet à Verbier, auront le loisir de goûter. Les deux entreprises avertissent en effet que, « Geberit étant déjà bien établi sur le marché suisse », c’est le segment du luxe qui est avant tout visé, « les hôtels quatre et cinq étoiles, les aéroports et les appartements de luxe étant prioritaires ». Pour les autres, eux aussi désireux d’apporter leur contribution au développement durable, nous ne pouvons que suggérer un don à un des nombreux projets d’ONG pour l’assainissement des pays sous-développés.

DéfécationDéfécation inégalitaire.

Les bobos lausannois – ou l’idéologie de Temps présent

Le terme de bobo (« bourgeois-bohème ») serait apparu pour la première fois sous la plume de l’Américain David Brooks, journaliste au New York Times. En 2000 paraissait son livre « Bobos in Paradise ».

L’auteur entendait désigner un groupe d’individus, dont le mode de vie aurait fusionné les idéaux de la contre-culture des années 60 avec les principes d’économie libérale des années Reagan. L’expression venait se substituer aux « yuppies » (« young urban Professional »), tout en étant voisine des plus récents « Dinkies » (« double income no kids »).

Temps présent cropped siteUne définition actualisée du bobo peut être reconstituée aujourd’hui à l’aide d’internet. Habitant de préférence le centre des grandes villes, le bobo ferait preuve d’un « conformisme raffiné », accompagné d’un « certain désordre » et d’une «relative désinvolture ». Politiquement, sa sensibilité pencherait pour les valeurs écologistes de gauche. Il accepterait ainsi les différences « jusqu’à un certain point », et aurait tendance à « idéaliser une société pacifiée ». Par ailleurs, le bobo refuserait le luxe et l’affichage ostensible de la richesse, qu’il considère comme inutile.

Les bobos et Temps présent

On l’aura compris, le bobo est un stéréotype qui renvoie à une multitude d’attributs contradictoires. Ne craignant pas ce terrain glissant, les journalistes de Temps présent en faisait récemment le fil conducteur d’un reportage intitulé « Les riches rachètent nos villes », diffusé le 9 mai dernier.

Dans le fond, ce reportage évoque l’attrait croissant des centres-villes comme lieux d’habitation, et l’augmentation consécutive du prix des loyers. Un phénomène proche de ce que les Anglo-Saxons appellent la « gentrification ». Cette dernière se réfère à la transformation de quartiers urbains, suite à l’arrivée de nouveaux habitants aux revenus confortables. Typiquement, la gentrification se traduit par la réhabilitation d’anciens bâtiments, et l’apparition de commerces proposant des produits à plus haute valeur ajoutée.

Riches contre pauvres

Dans le langage de Temps présent, qui s’est penché sur les cas lausannois et genevois, les riches « rachètent le cœur des villes romandes ». D’un côté, une « nouvelle élite » nous est présentée, ou « nouveaux envahisseurs », qui veulent « faire main basse sur la ville ». De l’autre, la « culture populaire et ouvrière », ou les « prolétaires que l’on va parquer en bordure des villes ». Les premiers peuplent des « cages à lapin de luxe », nouvelles « forteresses, symboles en verre et en béton de sa réussite sociale ». Des témoins nous rapportent que ces nouveaux résidents ne daignent pas participer aux fêtes des voisins, puisque « c’est chacun pour soi chez les bobos ».

Dans le même temps, un hommage nostalgique est rendu aux deuxièmes. D’abord par la voix de ce kiosquier, qui regrette que les nouveaux bobos soient nettement moins gros fumeurs. Ensuite par ce tenancier d’une échoppe de vin, qui explique avoir dû supprimer à contrecœur son étalage de litres de rouge à fr. 2.50, tout en assurant que « les salariés à cinq chiffres sont moins sympathiques ».

Pour achever de nous convaincre de la réalité de cette lutte des classes, les journalistes de Temps présent convoquent enfin graphiques et autres statistiques des revenus. Une carte apparaît alors à l’écran, partageant Lausanne en deux, « ville violette contre ville verte ».

Journalistes militants

Divertissant par son ton volontairement comique, plutôt bien réalisé, ce reportage serait louable s’il ne révélait de manière aussi évidente la posture idéologique des journalistes de la RTS.

Aussi, aux riches du reportage « Les riches rachètent nos villes », répondent les pauvres du reportage « Caritas – Carrefour des pauvres », diffusé le 29 novembre 2012. Ici, le propos est posé par le présentateur Jean-Philippe Ceppi, qui s’interroge: « Est-il tolérable que 600’000 Suisses vivent au-dessous du seuil de pauvreté, l’Etat en fait-il assez ? ».

Séquences tragi-comiques

S’ensuit un film qui nous mène au sein de diverses structures de réinsertion dans le canton du Jura. Un film également bien réalisé, où le tragique se mêle souvent au comique (mention spéciale au témoignage de ce monsieur proche de la retraite, occupé à recycler des crucifix dans la zone industrielle de Delémont). Avec une question qui revient de manière lancinante, posée systématiquement à tous les intervenants : « Vous considérez-vous comme pauvre ? ».

Sous ce vernis rhétorique, le reportage finit malgré tout par convaincre. Lorsque les images prennent le dessus, et qu’ainsi les véritables ressorts de la pauvreté nous sont montrés: dépendances en tous genres, prodigalité, solitude, familles monoparentales, maladie. Autant de formes d’une misère d’abord psychologique, avant d’être financière.

Une réalité ambivalente

Un reportage télévisé remplit son rôle s’il laisse parler sa matière. Si les images, ou les témoignages qu’elles portent, font découvrir une réalité, dans toute sa complexité. Une réalité qui ensuite permettra au spectateur de se forger une opinion.

Dans les deux reportages évoqués, le journaliste est le premier à prendre la parole. Le message qu’il veut transmettre est posé en introduction, et la trame du reportage réglée en conséquence. Au visionnage, ce message finit toutefois par se heurter aux différents témoignages, qui nous rendent compte d’une réalité plus nuancée.

Quand le pays s’arme

Dans les classements internationaux, on savait la Suisse à la pointe en matière de performances économiques. S’il est un autre domaine où notre pays excelle, c’est celui de la possession d’armes à feu à domicile. En terme de densité, nous y occuperions le troisième rang mondial, derrière les Etats-Unis et le Yémen.

Alors que, nous dit-on, l’effectif de nos recrues militaires ne cesse de s’amoindrir, il semblerait que la chasse ait de beaux jours devant elle. Un engouement sans doute lié à la popularité des produits bio, aux scandales alimentaires à répétition, et à la tendance d’un retour vers la nature.

Wächter siteSi l’idée de garder une arme à feu à domicile suscite chez vous quelque réserve, la Migros propose en ce mois de juin, via le tout-ménage de sa filiale OBI, une belle action sur une « Armoire pour armes ». Figurant en page deux, entre les perceuses (bientôt les armes de poing?) et les aspirateurs, ce produit de marque Burg-Wächter offre de la place pour trois calibres, dans un espace verrouillé électroniquement et protégé par un revêtement anti feu. De forme discrète et élancée, elle trouvera sans peine sa place dans votre garage, entre les pneus d’hiver et la piscine gonflable.

Une bonne raison de thésauriser ses points cumulus, pour un joli projet d’achat.

Moi et les autres

En septembre 2012, la Ville de Lausanne et son Service de la jeunesse lançaient en partenariat avec des institutions et associations locales une vaste campagne d’éducation intitulée « Moi et les autres – Pour respecter nos différences ». Distribué dans les établissements publics de la place, un fascicule d’une trentaine de pages nous présente aujourd’hui la substance des 55 projets qui en sont nés.

Sous l’égide de devises du type « rencontrer, s’impliquer, interagir », les bambins lausannois s’y voient offrir une palette d’activités ayant pour noms « Part’âge à l’Ems », « Face à Face : moi et l’autre, identité et différence », ou encore « Genre, adolescents et société ».

Poursuivant notre lecture, nous apprenons que les mêmes bambins sont ainsi invités à « mieux comprendre comment vivre ensemble à Lausanne », « dépasser les préjugés qui nous habitent » et « réfléchir aux interactions par un travail intergénérationnel et interculturel », lors de « stages intergénérationnels » qui visent à lutter contre l’ « hyper-non-communication » et favoriser « un dialogue intergénérationnel à réinventer ». Dans ce foisonnement, nous nous arrêtons encore sur cet « atelier de création collective » où « la rencontre autour du chantier favorisera la tolérance, le respect, l’intégration et la connaissance de l’autre », sans parler de ce «projet interdisciplinaire » ayant pour thèmes « décryptage de stéréotypes, réflexion sur l’inné et l’acquis de chaque genre ainsi que sur l’égalité des sexes dans la société ».

Moi et les autresSoupçonniez-vous qu’une quasi guerre civile à Lausanne est en train de couver? Que la jeu- nesse y est bercée par l’intolérance? S’il est réjouissant d’apprendre que les petits Lausannois peuvent bénéficier d’activités diverses, ce jargon en revanche laisse perplexe. Et l’on se demande comment les docteurs en psychologie et autre délégué au Bureau de l’égalité, à qui l’on doit le souffle de ce projet, comptent procéder pour expliquer aux préadolescents de 12 ans ce qu’est un ‘stéréotype’ ou un ‘préjugé’. Qui mal cherche, mal trouve. On attend donc avec impatience le bilan de l’exercice, pour lequel l’Institut des hautes études en administration publique IDHEAP aurait d’ores et déjà été mandaté. Ainsi la boucle sera bouclée.

 

La Suisse s’enflamme

En ces temps de crise, les citoyens descendent dans la rue aux quatre coins du continent. Bien qu’épargné par le grondement social ambiant, notre pays voit éclore ses propres passions. À l’heure du petit déjeuner, un numéro spécial du Migros Magazine intitulé « Mon gril, mon été – La Suisse s’enflamme » est là pour nous le rappeler.

Oeuvre d’une équipe de communicants visiblement très inspirés, ce guide « entièrement dédié à la culture du barbecue », fort de 62 pages (près du triple du journal Le Temps ce matin-là) proclame dès son éditorial que « réunie autour du feu, l’assistance se réchauffe les mains, mais aussi et surtout le cœur », tout en observant que « souvent, les grillades sont l’occasion d’échanger les rôles: madame n’est pas aux fourneaux puisque c’est monsieur qui manie la spatule sur le gril ».

Suivent quelques infographies sur les préférences culinaires des Helvètes – les Alémaniques seraient ainsi friands de cervelas fourrés, alors que le cœur des Romands pencherait pour la merguez – ; un exposé sur les « principes généraux » pour obtenir la braise parfaite ; un reportage sur cet éleveur lucernois qui « accorde une grande attention au bien-être de ses poules » en chauffant leur abri au bois ; une présentation des différentes façons de taillader son cervelas ; sans oublier une cartographie des meilleurs morceaux du bœuf. En page 30, un bref survol historique de la tradition du pique-nique nous est fourni, de l’ancestral repas champêtre des paysans au « souvenir romantique » de la pause au service militaire, pour conclure en point d’orgue que « dans la société démocratisée, le pique-nique est désormais une activité populaire, un grand classique de la vie communautaire [qui] illustre le passage du féodalisme à la société civile actuelle et à la cohabitation pacifique ». Parmi les différents modèles de grils et les pubs Zweifel, le concours Thomy Grill Tour 2013 figure enfin en bonne position, avec à la clé des tubes de sauce à l’ail et des saucisses pour une valeur de 300 francs à gagner.

Alors qu’en ce printemps maussade les grillplatz sont hélas encore désertés, sachons gré aux auteurs de ce pamphlet instructif de nous rassurer, en vantant plus que jamais les vertus des produits carnés pour la santé du pays.

Vache.site

Economiesuisse et le règne de la « crédibilité »

Le 3 mars dernier, le peuple suisse acceptait à près de 70% l’initiative Minder « contre les rémunérations abusives ». Ce jour-là, les principaux partis politiques du pays, ainsi que la grande majorité des organisations économiques, essuyaient un camouflet. Tous avaient préconisé le rejet de l’initiative. Seul le Parti socialiste, les Verts, et quelques syndicats avaient soutenu le texte.

Un bouc émissaire commode

Anticipant ce désaveu sévère, les personnalités politiques de la droite et du centre avaient très tôt renoncé à assumer leur position. Elles désertaient la campagne, laissant à Economiesuisse, l’organisation faîtière de l’économie, le soin de monter seule au front.

Alors que tombait le verdict des urnes, le monde politique avait trouvé son bouc émissaire. Economiesuisse allait devoir tirer seule les conséquences de la défaite.

Le maître mot : la « crédibilité »

Pour mener cette opération collective de blâmage, un mot imparable fut dégainé, qui allait se répandre comme une traînée de poudre : la crédibilité (« Glaubwürdigkeit » en allemand). Entonné d’abord par les hommes politiques, adopté et relayé à l’unisson par les journalistes, un refrain nous faisait savoir qu’ « Economiesuisse a perdu sa crédibilité ».

Faute de manquements substantiels, on chercha des poux aux dirigeants de l’organisation. En première ligne, Pascal Gentinetta, directeur, et Rudolf Wehrli, président, dont le parcours professionnel et la personnalité furent décortiqués.

Carences de CV

Dans le langage des médias, le premier fut décrit comme « très compétent sur les questions techniques, mais d’apparence plutôt technocratique ». On déplora son manque d’expérience dans le privé ; avant de rejoindre l’organisation faîtière, le directeur avait fait carrière dans le milieu universitaire, puis dans l’Administration fédérale. Un parcours hélas insuffisant.

Au président, on reconnut une « façon de penser académique et stratégique ». Insuffisant aussi, le malheureux devant trébucher sur un « manque d’expérience dans la communication », une absence de connexions politiques et une « incapacité à porter des messages contre des vents politiques contraires ».

Las, impuissants devant tant d’exigences, les deux dirigeants jetaient l’éponge le 19 juin dernier.

La recette

Heureusement, l’annonce de ces départs, ainsi que les bonnes résolutions émises par l’organisation, nous donnent aujourd’hui la recette du parfait dirigeant crédible.

Actuellement en « processus de repositionnement », Economiesuisse concédait en conférence de presse avoir « argumenté de façon trop académique et complexe » par le passé. Elle promet désormais d’améliorer sa communication, en adoptant « un ton plus humble et ouvert ».

S’agissant du nouveau directeur (pas encore désigné), la Neue Zürcher Zeitung quant à elle nous explique qu’il devra gagner la « stature de figure de proue de l’économie ». En clair, cela suppose, selon le journal: des expériences pratiques recueillies dans le monde de l’économie ; des compétences de spécialistes ; des capacités de management éprouvées; un talent de communicateur ; des connexions dans le milieu politique ; un profil reconnu en matière de politique économique.

Rien de moins.

Et le quotidien d’ajouter, en bonne logique, que les conditions du poste devront être rendues plus attractives, et sa rémunération adaptée en conséquence.

Ce qui nous amène à espérer, forcément, que le salaire du nouveau directeur ne sera pas abusif. Le pauvre risquerait d’en perdre sa crédibilité.

Président fatigué.siteUn président fatigué. Rudolf Wehrli (à g.), ex-Economiesuisse.

L’ivresse de l’Everest

Mount Everest site

Cette année 2013 marque le soixantième anniversaire de la première ascension du Mont Everest. Le 29 mai 1953, Sir Edmund Hillary, accompagné de son sherpa Tensing Norgay, se hissaient au sommet du monde à 8848 mètres d’altitude. De nombreux alpinistes s’y étaient essayés avant eux, les premières tentatives remontant au début des années 20.

En marge de ce jubilé, l’Everest faisait récemment les titres de la presse internationale. En avril dernier, une rixe opposait le Suisse Ueli Steck, alpiniste renommé pour ses exploits de vitesse, à des sherpas assurant la maintenance des voies d’accès au sommet. La nouvelle d’un tel déchaînement de violence en altitude ne pouvait qu’interpeller les amateurs de montagne. Un fantasme se brisait, rappelant à notre conscience désillusionnée que mêmes les plus hautes sphères de la terre, où s’impose la grandeur de la nature, ne suffisent à dissiper les plus viles inclinaisons des êtres humains.

Quoi qu’il en soit, ce double événement est l‘occasion de poser un regard sur cette montagne, si présente dans notre imaginaire, et de s’arrêter sur quelques-unes de ses facettes les plus inattendues.

S’offrir une ascension

Pour commencer, il s’avère que l’ascension du Mont Everest ne présente pas de difficultés techniques majeures, le principal défi étant avant tout logistique. Elle est accessible à toute personne en bonne condition physique disposant du temps et du budget nécessaires. Trois mois environ sont à prévoir pour l’acclimatation, et quelques dizaines de milliers de francs pour l’équipement, les divers permis, ainsi que pour l’engagement de guides et de sherpas.

Ainsi de multiples « expéditions » sont organisées chaque année. Ces dernières sont souvent financées par des sponsors, qui profitent de la publicité et des possibilités offertes par internet. En effet, nombre d’alpinistes s’appliquent à médiatiser leurs exploits, en tenant blogs et autres sites qui rendent compte de leur avancement en temps réel. L’ascension du plus haut sommet du monde est devenue un objectif très convoité, parfois jusqu’à l’obsession, par un public toujours plus large. Certains iront par exemple y chercher une distinction à exhiber dans leur CV, alors que d’autres, préparant une reconversion dans le « life coaching », tenteront d’en tirer une légitimité.

Paléo en altitude

Sur le terrain, deux routes principales mènent au sommet : depuis le nord par le versant tibétain ou le sud par le versant népalais. La plupart des ascensions sont entreprises dans une fenêtre d’à peine un mois, en mai lorsque les vents sont plus faibles et l’enneigement réduit. Par le sud, les alpinistes partis de Katmandou accèdent dans un premier temps au camp de base, situé à 5400 mètres d’altitude. Avant d’entamer l’ascension proprement dite, ils y séjournent plusieurs semaines pour les besoins de leur acclimatation. Ainsi chaque année, au mois de mai, un village de tentes prend forme de chaque côté de l’Everest. Des centaines d’alpinistes plus ou moins chevronnés, venus des quatre coins du globe, s’y abritent, contraints d’y tuer le temps. De manière assez cocasse, certains récits en donnent une image proche du camping de Paléo, où beuverie, trafic de drogue, vol de matériel et prostitution auraient cours, notamment du côté tibétain.

Zone de la mort

Une fois acclimatés, les alpinistes peuvent s’attaquer aux 3000 mètres de dénivelé jusqu’au sommet. Arrivés au dernier bivouac, à 7900 mètres d’altitude, ils disposent alors de deux à trois jours pour attendre que les conditions météo leur permettent de tenter l’assaut final. A défaut, leur organisme, qui ne peut s’acclimater à cette altitude, les contraindra à redescendre. Pour accomplir cet ultime tronçon, ils doivent vaincre ce qu’on appelle communément la «zone de la mort » (Death Zone). Située au-dessus de 8000 mètres d’altitude, l’oxygène y est rare et les gelures menacent à tout instant. Hormis quelques sportifs d’élite, les alpinistes achèvent ainsi leur ascension avec masque et bonbonne d’oxygène sur le dos, et une dizaine d’heures leur sont en moyenne nécessaires pour parcourir les 1,72 kilomètres de route restants. Compte tenu de ces difficultés, sur le millier de personnes ayant tenté l’ascension en 2012, seules 550 ont finalement pu atteindre le sommet.

Une quête obsessionnelle

Dans ces conditions, certains sont prêts à prendre des risques considérables. Lors de la saison 2012, dix alpinistes ont ainsi succombé dans leur ascension. Beaucoup de ces accidents se produisent dans la redoutée zone de la mort. S’il est commun que des alpinistes y soient victimes de chutes, de malaises, ou surpris par la météo, des récits rapportent que certains, en proie à des délires ou des hallucinations, auraient soudainement arraché leurs habits avant d’aller se précipiter contre des rochers. Etant donné que le sauvetage par hélicoptère est impossible à cette altitude, et que les alpinistes, poussés à leurs limites physiques, ne sont pas en mesure de transporter un confrère en difficulté, la moindre défaillance est souvent fatale. Ainsi quelques 150 corps, parfaitement conservés, peupleraient aujourd’hui les alentours du sommet de l’Everest. Certains y reposent depuis plusieurs dizaines d’années, et il n’est pas rare que les alpinistes en rencontrent en bordure de chemin. Une portion du versant nord aurait même été baptisée « Rainbow Valley », en référence aux anoraks multicolores des cadavres visibles au loin tels des balises.

Ce tableau de sphères scintillantes, habitées par la mort, participe d’une aura puissante, dont l’attrait demeure aujourd’hui intact. Alors qu’ici commence la saison estivale, nous nous réjouissons d’aller chercher à notre manière, sur les verts versants de nos vallées alpines, un peu de l’ivresse de l’Everest.

Émile Gardaz

Il y a six ans, en décembre 2007, s’éteignait Emile Gardaz. Figure du folklore vaudois, homme de radio, poète des campagnes, ce dernier était notamment connu pour ses péripéties dans les Aventures de Oin-Oin, où, fin satiriste devant l’Eternel, aucune institution du pays n’était épargnée par son humour aux pointes volontiers subversives.

Quelques mois après sa mort, en août 2008, sa commune d’Echallens l’honorait d’une place à son nom. Comme pour perpétuer la dérision, il s’avère qu’aujourd’hui l’Office des poursuites du district du Gros de Vaud y a pignon sur rue.

Qu’il est exquis de penser que notre acolyte orne désormais les centaines de commandements de payer, actes de défaut de biens et autres comminations de faillite, à l’attention des pauvres bougres qui, de Pailly à Bottens, sont pris à la gorge par un arriéré d’impôts, une pension alimentaire à verser ou une taxe militaire impayée. Alors que l’homme, de là où il se trouve, doit vraisemblablement s’en amuser, osons penser que son évocation fasse l’effet d’un baume à tous ces intimés.

Gardazcropped.site